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La Ballade Céleste (extrait). Décembre 1997


à Amandine,

Ma sœur

 

Le soleil était déjà haut et flou. Le sergent-major consulta sa montre… il n’était pourtant que dix heures.

Avec ça, sa botte ne cessait de le gratter depuis qu’il était parti, tandis que le sac de cuir, trop plein, lui broyait les reins.

C’est en vain qu’il voulut attraper le mouchoir. S’essuyer, ne serait-ce qu’un peu, le brûlant qui de  son front lui coulait dans les yeux.

La poche restait trop loin, trop éloignée de l’arc possible du bras.

Il renifla profondément puis cracha. Il ne regarda pas où. C’était son nez qui coulait maintenant.

Il se sentait comme ces desserts que l’on sert là-bas. Ou ailleurs. IL ne savait pas, ne savait plus. Il n’avait plus envie d’y réfléchir.

Chaud à l’extérieur, froid à l’intérieur.

Il aurait aimé s’arrêter un instant, goûter le frais à l’ombre parfumée du manguier.

Les jambes-machine ne cessaient pour autant nullement leur lourd et traînant lamento.

La brume était maintenant. Venue sans signe avant-coureur.

Ou bien c’était lui qui ne l’avait pas vu s’installer entre les cailloux, s’élever précieusement au sortir de la terre vers le haut, effluves humides de la glaise plus profonde.

Il avait dû s’endormir.

Il ne se souvenait plus à quel moment il avait décidé de ne plus regarder le bout de ses bottes écrasant l’herbe rase du sentier.

Non, il ne lui restait que cet appel en bordure de sa conscience, ce changement tendre de l’écho de l’air qui se feutre entre les gouttes en suspension.

Vague sensation qui ne l’avait tiré de sa rêverie que pour mieux le balancer dans cet autre brouillard, gris et froid celui-là.

Demain, si tout aller bien, il se rendrait à nouveau dans les bâtiments austères d’une nouvelle garnison.

Trop longtemps loin des hommes et des mesquineries ? Sans doute en avait-il assez de se sentir proie, il aspirait, l’instant d’un repos, à l’artificiel confort de leur taupinière.

Ils le fustigeraient bien sûr, c’était un récidiviste.

Son temps chez lez hommes, son temps du néant dont il avait appris à reconnaître l’utilité n’étant pas fort de nature, il le passerait au cachot.

Cela valait toujours mieux que l’imposture du mur qu’ils avaient érigé, pour que les esprits comme le sien viennent s’y écrabouiller.

Mort pour la civilisation étatisée, pour la « Kultur Kampf ».

Enfin, pour lui la farce n’avait pas pris, ni même face à l’argumentation de la défense de la cité. Certains étaient restés, luttant tant bien que mal avec la pieuvre du « politically correct », d’autres, tout comme lui, avaient pris l’exil en quête du mythe, de la cité céleste, de cosmos.

Redécouvrir le jardin, la haie d’hortensias, le vert chartreuse, l’œil jaune qui observe la tulipe bleue, le fruitier et les merles moqueurs…

De tout cela il se savait rempli à présent et il le savait sans limites.

Demain, après la sieste des hommes, il reprendrait la route à la lueur des constellations et il s’élancerait de nouveau, embrasser toujours un peu plus le chant des étoiles.

 

Loïc Arnaud

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